Comme on a vu dans le chapitre précédent, un énoncé peut faire beaucoup plus que déclarer simplement un fait ou une croyance. Nous utilisons le langage pour faire toutes sortes d'actes de langage. Le lien entre la forme d'un énoncé et l'acte qu'il est censé faire est une question importante dans la pragmatique.
Quand nous utilisons le langage, qu'est-ce que nous faisons ? À un niveau de base, c'est clair que nous parlons (ou bien que nous écrivons, signons, etc.). Lorsque vous énoncez une phrase, vous êtes en train de prononcer des mots, de dire quelque chose. Ces actes évidents (parler, écrire, signer, prononcer, dire, etc.) s'appellent des actes locutoires, parce qu'ils sont reliés à l'acte même de produire du langage.
Presque toujours, quand nous parlons nous faisons des choses en plus de prononcer des mots ou des phrases. Nous faisons un acte communicatif comme informer, demander, remercier, plaindre, etc. Ceux-ci s'appellent des actes illocutoires, et ils sont le genre d'intéraction que nous essayons de produire par notre énoncé.
En dehors de notre contrôle direct, ce que nous disons produit certains effets sur les gens. Un acte illocutoire que je pourrais faire est raconter une blague. Si ma blague est bonne, j'amuserai mon interlocuteur. Si ma blague n'est pas bonne, ou si mon interlocuteur n'est pas de bonne humeur, peut-être que je l'embêterai. Ces actes qui concernent l'effet produit pour celui qui entend l'énoncé (amuser, embêter, effrayer, persuader, inspirer, etc.) s'appellent des actes perlocutoires.
Sous certaines conditions, l'acte même de dire quelque chose peut produire une changement institutionnel dans le monde. Si j'achète un ours en peluche et je dis « Je l'appelerai Freddy », le fait que je l'ai dit confère à l'ours ce prénom. Dès ce moment, il est Freddy. Si je suis patron et je dis à mon employé « Vous êtes licencié », il n'est plus employé par le fait que je l'ai dit. Ces sortes d'actes, où le fait de dire quelque chose le réalise (promettre, nommer, avertir, déclarer la guerre, etc.) s'appellent des actes performatifs. Pour qu'un acte soit performatif, il faut que les conditions requises soient satisfaites. Si une juge déclare qu'un accusé est « coupable » au moment approprié d'un procès, l'accusé est alors coupable au regard de la loi. Mais si la juge, en rentrant chez elle, dit à son mari qu'il est coupable, cet énoncé ne produit pas le même effet.
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Parfois un énoncé semble superficiellement constituer un type d'acte illocutoire, mais par le principe de pertinence (le sujet du chapitre précédent), il constitue par implicature un acte illocutoire différent. Par exemple, je pourrais dire « Cette salle est très froide », qui semble superficiellement (et par explicature) être censé informer mes interlocuteurs de la température de la salle. Mais par implicature, on pourrait supposer que ma raison pour dire cela est pour demander que quelqu'un monte le réglage du thermostat. C'est donc un acte indirect de langage.
Pourquoi faire un acte de langage indirectement au lieu de le faire directement ? Une raison est la politesse. Tout le monde veut les choses suivantes :
Ces désirs s'appellent la face (Brown & Levinson 1987). Un acte de langage peut porter atteinte à la face. Par exemple, si je critique quelqu'un, cet acte porte atteinte à son désir d'être respecté, et si je demande un service, cet acte porte atteinte au désir d'autonomie. La politesse comprend les stratégies que nous employons pour atténuer le risque à la face et pour valoriser notre propre face et celle des autres.
Si je veux demander un service, comme monter le réglage du thermostat, mais le faire directement porte atteinte à la face, je peux le faire indirectement. Parce que superficiellement, « Cette salle est très froide » ressemble à l'acte d'informer, il porte moins atteinte à la face que l'impératif « Monte le réglage du thermostat ». Le degré de risque dépend des circonstances. On peut demander directement à son ami de lui prêter un stylo, mais il y a un très grand risque de demander au Roi anglais de vous prêter sa couronne, même indirectement.
Lorsqu'un acte de langage porte atteinte à la face, le locuteur peut choisir parmi plusieurs stratégies. Il peut faire l'acte indirectement. Il peut aussi atténuer l'acte en reconnaissant ou en réduisant l'imposition (« Je sais que c'est un grand service, et je ne demanderais pas si ce n'était pas très important, mais est-ce que je pourrais emprunter ta voiture demain soir ? Ce ne sera que pendant deux heures. »). Cette stratégie s'appelle la politesse négative (qui n'est pas la même chose que l'impolitesse) parce qu'elle vise l'aspect « négatif » de la face, le désir d'autonomie. On pourrait aussi adoucir l'acte en ajoutant des expressions positives qui montrent du respect à l'interlocuteur (« Tu es toujours très généreux, et tu es un très bon ami à moi. C'est pourquoi je pensais te demander si je pourrais emprunter ta voiture demain soir. »). Cette stratégie s'appelle la politesse positive parce qu'elle vise l'aspect « positif » de la face, le désir d'être respecté.
Vérifier votre compréhension
Lisez les phrases suivantes, qui étaient produites par des étudiants sénégalais à Dakar. Puis, répondez aux questions.
Quel acte illocutoire est-ce que ces phrases accomplissent ? À quel acte illocutoire ressemblent-elles superficiellement ?
Pourquoi est-ce que cet acte porte atteinte à la face ? (C'est-à-dire, comment est-ce que faire cet acte présente un risque pour la face ?) Quelles stratégies de politesse dans ces phrases (quels mots / quelles expressions) visent à atténuer cet acte menaçant pour la face ? Ce sont des stratégies de politesse positive ou de politesse négative ?
(Inspiré par : Johns, Andrew & J. César Félix-Brasdefer. 2015. Linguistic politeness and pragmatic variation in request production in Dakar French. Journal of Politeness Research. De Gruyter Mouton 11(1). 131–164. https://doi.org/10.1515/pr-2015-0006.)
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