Dans vos études, vous avez étudié les langues de plusieurs manières. Vous avez appris à lire, ce qui comprend une étude des lettres de l'alphabet et de leurs sons. Vous avez appris à écrire, ce qui comprend une étude de l'orthographe ainsi que des règles de grammaire standard pour l'écriture formelle. Vous avez étudié une ou plusieurs langues étrangères, ce qui comprend une étude de la prononciation, du vocabulaire et de la grammaire (principalement de la grammaire standard). Vous avez aussi étudié la littérature, en apprenant à analyser le sens littéraire et le style artistique des textes en prose et en vers.
La linguistique est un domaine distinct de tout cela, bien qu'elle partage certaines idées avec ces autres approches. La linguistique est une science, l'étude scientifique du langage.
Cela veut dire que les linguistes sont des scientifiques. La plupart des linguistes professionnel·le·s ont étudié plusieurs langues, mais un·e linguiste n'est pas plus quelqu'un qui parle beaucoup de langues qu'un botaniste n'est quelqu'un avec un grand jardin. Les linguistes sont des chercheur·se·s qui examinent le fonctionnement, la variation, et les origines du langage.
En commençant votre étude de la linguistique, il faut d'abord vous orienter à un point de vue scientifique du langage.
Comme toute activité humaine, le langage comprend toujours de la variation. Les locuteur·rice·s (c.-à-d., les personnes qui parlent) font constamment des choix linguistiques inconscients : dire X ou non, employer le mot A ou le mot B, le prononcer comme ceci ou comme cela, etc.
Ces choix linguistiques sont influencés par plusieurs facteurs. Une personne pourrait parler différemment à cause de son âge, son genre, ses origines régionales et linguistiques, son éducation, et d'autres facteurs sociaux. Elle pourrait aussi parler différemment selon le contexte : à qui elle parle, où elle est, quels autres mots et sons entourent son énoncé, etc.
Un facteur qui influence souvent les choix linguistiques est la norme ou la langue standard. C'est la forme d'une langue qui est considérée la plus « correcte » par la société. Souvent, la langue standard est enseignée aux écoles et codifiée dans des dictionnaires et des manuels. C'est le cas en français, qui a une forme standard fortement enracinée dans la société (encore plus que la plupart des autres langues). Parfois, la norme est seulement présente dans la connaissance des locuteur·rice·s. En tout cas, la norme peut influencer les choix linguistiques inconscients des locuteur·rices. Mais la norme n'est souvent pas suivie; même des locuteur·rice·s natif·ve·s et éduqué·e·s montrent beaucoup de variation dans leur langage.
En tant que linguistes, ce n'est pas notre travail de promouvoir ou prescrire la langue standard. Un entomologiste ne dit pas aux insectes comment il faut se conduire ; il observe leur conduite seulement. De la même manière, le travail des linguistes est de décrire le langage tel que les locuteur·rice·s le produisent (qu'il soit standard ou non), et d'identifier les facteurs qui affectent la variation linguistique. Dans la recherche linguistique, on ne se demande jamais si une forme est correcte ou incorrecte. On se demande si elle est observée dans la langue et quels facteurs impactent sa distribution.
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Le mot grammaire a plusieurs sens. Vous l'avez probablement vu employé pour désigner les règles prescriptives de morphologie et de syntaxe ; c'est-à-dire les règles qui déterminent la conjugaison des verbes, l'accord des adjectifs, l'ordre des pronoms, etc. En linguistique, le mot grammaire a un sens un peu différent. La grammaire ne concerne pas les règles imposées par des manuels et n'est pas limitée à l'ordre et la terminaison des mots.
La grammaire est un système des contrastes significatifs ou contextuels d'une langue. La grammaire française, par exemple, inclut un contraste significatif entre la forme une rose et la forme des roses. Ces formes sont similaires, mais le contraste de l'article une vs des (et du s orthographique mais non-prononcé) fait une différence de sens : singulier vs pluriel. Un contraste peut aussi être contextuel. Par exemple, le et la ont exactement le même sens, mais le choix entre ces deux formes dépend du genre du nom suivant.
La grammaire existe dans l'esprit de chaque locuteur·rice d'une langue. Cette grammaire varie ; la grammaire française dans l'esprit d'un Québécois n'est pas la même que celle dans l'esprit d'une Ivoirienne. En tout cas, c'est la grammaire mentale, l'intuition des locuteur·rice·s, qui intéresse les linguistes, non pas les prescriptions grammaticales qui sont écrites dans des manuels.
La grammaire comprend la forme des mots (la morphologie - la conjugaison des verbes, l'accord des adjectifs, etc.) et l'ordre des mots dans une phrase (la syntaxe). Mais la grammaire comprend aussi la prononciation (la phonologie), le choix des mots (la sémantique) et les stratégies de communication selon les circonstances (la pragmatique - les stratégies de politesse, le niveau de formalité, etc.).
Il est important de comprendre la différence entre l'observation d'un trait linguistique et l'analyse de la grammaire. Pour faire une analyse grammaticale, il faut d'abord faire des observations, mais ce n'est que la première étape. Par exemple, on peut observer que la lettre s dans le verbe poser se prononce comme [z]. On peut aussi observer que cette même lettre dans le verbe poster se prononce comme [s]. Mais pour faire une analyse grammaticale, il faut comparer ces deux formes et découvrir la raison contextuelle ou significative pour ce contraste. Dans ce cas, on peut trouver que s se prononce comme [z] entre deux voyelles mais comme [s] devant une consonne; c'est une différence contextuelle. La phonétique concerne l'observation des traits de la prononciation et la perception des sons, alors que la phonologie concerne l'analyse grammaticale des contrastes de prononciation.
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L'écriture a été inventée indépendamment par plusieurs cultures anciennes. Mais avant la première invention de l'écriture, le langage oral existait déjà depuis très longtemps (depuis le début de l'humanité, en fait). Et encore aujourd'hui, il y a des milliers de langues qui n'ont pas de forme écrite. Ces langues ont une grammaire tout aussi complexe que celle des langues qui sont écrites, et les personnes analphabètes ont quand même une capacité linguistique complète. Il faut donc distinguer l'écriture, qui est une technologie, du langage, qui est une capacité humaine.
En principe, la linguistique est l'étude des langues naturelles (parlées ou signées), non pas l'étude des technologies qui les représentent artificiellement (comme l'écriture). Il faut donc apprendre à analyser la forme prononcée des mots, qui ne correspond pas parfaitement à la forme écrite. Par exemple, quelqu'un qui n'a étudié que le français écrit pourrait penser qu'il n'a que 6 voyelles : a, e, i, o, u, y (ou peut-être plus si on inclut les accents : é, è, ô, etc.). Mais phonologiquement, le français standard a 14 voyelles : [a], [e], [ɛ], [ə], [i], [o], [ɔ], [u], [y], [ø], [œ], [ɛ̃], [ɔ̃], [ɑ̃] (vous apprendrez ces symboles plus tard). Certains dialectes en ont encore plus (le français parlé au Québec a typiquement 19 voyelles distinctes). Des orthographes différentes peuvent représenter le même son (an = [ɑ̃], en = [ɑ̃]), et la même lettre peut représenter des sons différents (pot = [o], bol = [ɔ]). En étudiant la phonétique et la phonologie, on se focalisera donc sur les sons, en mettant de côté les lettres orthographiques.
De temps en temps, les linguistes s'intéresseront à l'écriture parce qu'elle représente indirectement le langage parlé. Par exemple, les linguistes historiques étudiant le français médiéval ne peuvent pas écouter des enregistrements des locuteur·rice·s de cette ancienne variété. Ils regardent donc des textes écrits à l'époque pour déduire l'ancienne prononciation des mots.
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