Dans l'unité sur les sons, vous avez appris la différence entre la phonétique et la phonologie. Nous pouvons décrire l'articulation ou la qualité sonore d'un son de manière très détaillée (la phonétique), mais souvent ce qui nous concerne est comment un son se distingue ou se rapproche des autres sons employés dans une langue (la phonologie). Le même principe s'applique à la sémantique. Au-delà de comprendre le sens d'un mot en particulier (ou plus proprement dit, afin de le comprendre), nous voulons comprendre comment le lexique français est organisé, comment ses mots se distinguent et se recoupent sémantiquement, et comment ce système sémantique diffère de ceux des autres langues.
Chaque langue organise son système sémantique différemment. Par exemple, le français emploie un seul mot, esprit, pour couvrir l'espace conceptuel qui en anglais est divisé dans deux mots: spirit et mind. Dans l'autre sens, le français utilise deux mots distincts, gratuit et libre, pour des concepts qui sont regroupés en anglais sous le mot free.
Nous pouvons décrire le système sémantique d'une langue en décrivant les relations sémantiques qui existent entre ses mots (Lyons 1963).
Définir le sens d'un mot est compliqué par le fait que la plupart des mots ne couvrent pas un seul sens précis, mais plusieurs sens. Parfois les sens d'un mot sont clairement reliés, parfois leur lien est plutôt obscur, et parfois ils n'ont aucune correspondance. Les linguistes se débattent sur comment compter les sens d'un mot, comment décider si un mot a deux sens reliés (plus spécifiques) ou un sens général.
Dans cette discussion, il faut d'abord reconnaître les homophones. Ce sont des mots séparés qui ont la même prononciation par hasard mais qui ne sont pas reliés dans leur sens. Des exemples sont dans et dent, cette et sept, quand et camp, etc. La similarité phonétique entre ces mots est un accident linguistique qui est permis parce qu'en contexte, on peut typiquement les distinguer très facilement.
Parfois, les homophones deviennent gênants et sont remplacés. Par exemple, un ancien mot pour visage était vis. Éventuellement, on cessait de prononcer le s final, créant un homophone avec le nom vie et certaines conjugaisons des verbes voir et vivre. Pour éviter la confusion, on a préféré la forme longue visage, gardant vis seulement dans l'expression vis-à-vis.
Si des mots distincts ont la même forme écrite (mais pas forcément la même prononciation), ce sont des homographes. Des exemples sont est (Il est beau) et est (Il va vers l'est), portions (Nous portions des fardeaux) et portions (Elle a servi 5 portions), fils (Mon fils s'appelle Lucas) et fils (J'ai réparé les fils électriques).
Si des mots ont la même forme écrite et la même prononciation (mais des sens non-reliés), ce sont des homonymes. Les homonymes sont plus rares en français que les homophones et les homographes. Des exemples d'homonymes sont le mot ton (Ton père veut te parler vs Il m'a parlé avec un ton sérieux) et le mot son (Son frère est ici vs Il faut baisser le son de la radio).
Vérifier votre compréhension
Les homonymes sont des mots séparés avec des sens distincts. Mais nous trouvons régulièrement un seul mot qui a plusieurs sens reliés. En fait, on pourrait dire que presque tous les mots du français ont plus d'un sens. On appelle la condition d'un mot avec plusieurs sens la polysémie. C'est opposé à la monosémie, le fait de n'avoir qu'un sens.
La polysémie est le résultat du changement sémantique. Au fil du temps, un mot peut être employé dans de nouveaux contextes. Il attire donc de nouveaux sens. Un exemple assez récent est le mot tuer, dont le sens « Qui plaît beaucoup » est noté par le Dictionnaire de la Zone (Mon rap tue — La Fouine, « Stan Smith »). Ce mot garde tous ses sens préexistants et ajoute ce nouveau sens, devenant plus polysémique.
Si on ne connaît pas l'histoire d'un mot, il est parfois difficile de déterminer si ses sens sont reliés. Certains mots ont des sens qui semblent très différents, mais qui ont en fait une relation historique. Par exemple, le mot patron veut dire 'dirigeant des employés' et aussi 'modèle pour reproduire une forme, par exemple dans la couture'. Ces sens sont assez différents, mais ce ne sont pas deux mots distincts qui sont des homonymes. C'est un seul mot, et le deuxième sens s'est développé d'après une métaphore : dans la couture, une forme sert comme « saint patron », comme parent et modèle à suivre, pour ses reproductions.
C'est une question disputée, comment découper les sens des mots. Le mot amour désigne les sentiments romantiques en couple ainsi que les sentiments amicaux ou familiaux. Est-ce que ce sont des sens distincts (polysémie) ou un seul sens qui s'adapte au contexte (monosémie) ? La réponse dépend de la théorie sémantique adoptée.
Plusieurs relations sémantiques décrivent un chevauchement partiel ou presque complet entre les sens de deux mots.
Un synonyme est un mot avec le même sens. Cette relation est disputée, parce qu'elle déroge au principe de la non-synonymie (Bolinger 1977, Goldberg 1995). Ce principe dit qu'une langue ne gardera pas deux manières d'exprimer exactement la même chose; il y aura toujours au moins une petite différence de sens entre deux mots. Les exemples proposés de synonymes ont généralement la même dénotation mais une connotation différente. Par exemple, les mots travail et boulot ont plus ou moins la même dénotation, mais boulot est plus familier. Vélo et bicyclette n'ont pas la même connotation parce que bicyclette est un peu vieilli.
Dans le dernier chapitre, vous avez comparé la précision des mots. Un mot plus précis pour un membre d'une catégorie est un hyponyme. Par exemple, rose est un hyponyme de fleur parce qu'une rose est un type de fleur, un membre de cette catégorie. Dans l'autre sens, on utilise le mot hyperonyme. Fleur est un hyperonyme de rose.
Une relation similaire concerne les parties de quelque chose. Roue est un méronyme de voiture parce qu'une roue est une partie d'une voiture. D'autres méronymes du mot voiture sont moteur, volant, et pare-brise. Dans l'autre sens, on utilise le mot holonyme. Voiture est un holonyme de roue, moteur, volant, et pare-brise.
Ne confondez pas l'hyponymie et la méronymie. L'hyponymie est une relation type-de : une rose est un type de fleur. La méronymie est une relation partie-de : une roue est une partie d'une voiture.
Une catégorie (comme fleur) contient plusieurs types (comme rose, tulipe, marguerite, etc.). Un objet (comme voiture) peut comprendre plusieurs parties (comme roue, moteur, volant, etc.). Les membres d'une même catégorie (comme rose et tulipe) sont des cohyponymes. Les parties d'un même tout (comme roue et moteur) sont des coméronymes.
Notez que la synonymie, la cohyponymie et la coméronymie sont des relations symétriques : si vélo est un synonyme de bicyclette, alors bicyclette est un synonyme de vélo, et si rose est un cohyponyme de tulipe, alors tulipe est un cohyponyme de rose. Par contre, l'hyponymie, l'hyperonymie, la méronymie, et l'holonymie sont des relations asymétriques : roue est un méronyme de voiture, mais voiture n'est pas un méronyme de roue (c'est un holonyme).
Toutes ces relations nous permettent de décrire le système sémantique d'une langue et le comparer à d'autres langues. Par exemple, en anglais brother et sister sont des cohyponymes du mot sibling, mais en français il n'y a pas d'hyperonyme pour les mots frère et sœur. Ces relations sont aussi importantes parce qu'elles montrent souvent des voies possibles pour le changement sémantique. Par exemple, il y a quelques siècles, le mot jambe voulait dire 'cuisse' (son méronyme).
Vérifier votre compréhension
D'autres relations sémantiques décrivent des sens qui sont reliés mais qui n'ont pas de chevauchement.
D'abord, certains domaines sémantiques regroupent des mots qui ont des sens incompatibles. Ces mots viennent du même domaine (comme les couleurs, les relations familiales, les parties de la journée, etc.), et si un référent est désigné par un de ces mots, c'est impossible qu'il soit aussi désigné par un autre. Par exemple, si une voiture est rouge, elle ne peut pas être bleue ou verte. Notez que les mots incompatibles sont généralement aussi des cohyponymes (rouge, bleu, et vert sont des cohyponymes du mot couleur).
L'antonymie est un type spécial d'incompatibilité qui existe entre deux mots seulement. On peut distinguer deux types d'antonymie : gradable et non-gradable. Des antonymes gradables sont deux mots qui représentent les extrêmes d'une échelle, comme pauvre et riche, grand et petit, beau et moche, ou proche et loin. Une personne est plus ou moins pauvre, plus ou moins riche, mais si elle est riche, elle n'est pas pauvre.
Des antonymes non-gradables représentent deux cas possibles : ouvert ou fermé, allumé ou éteint, vivant ou mort. On ne peut pas être « un peu mort » ni « assez allumé ».
Une catégorie similaire à l'antonymie s'applique aux mots qui désignent les deux côtés d'une relation. Ces mots sont contraires : acheter et vendre, propriétaire et locataire, parent et enfant. Si on suppose que X achète quelque chose de Y, on sait que la phrase contraire s'applique : que Y a vendu cette chose à X. La différence entre les mots contraires et les antonymes est que les antonymes sont incompatibles (si la porte est ouverte, elle n'est pas fermée), mais les mots contraires décrivent la même relation de deux perspectives (si on achète quelque chose, quelqu'un l'a vendu).
Vérifier votre compréhension
Considérez la négation des antonymes gradables suivants. Pour chaque expression, il y a deux interprétations possibles présentées. Laquelle est la plus probable selon vos intuitions ?
Quelle interprétation est-ce que vous préférez pour chaque expression ? Est-ce que vous remarquez une différence entre les adjectifs positifs (comme bon, poli, et riche) et les adjectifs négatifs (comme mauvais, impoli, et pauvre) ? Si oui, pourquoi pensez-vous qu'il y a cette différence ?
(Inspiré par : Ruytenbeek, Nicolas, Steven Verheyen & Benjamin Spector. 2017. Asymmetric inference towards the antonym : experiments into the polarity and morphology of negated adjectives. Glossa: a journal of general linguistics 2(1). 92. 1-27. https://doi.org/10.5334/gjgl.151.)
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