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Dans le chapitre précédent, vous avez découvert les constructions, des schémas syntaxiques qui apportent un sens particulier à la phrase. Cette idée a été introduite par la comparaison de la construction active et la construction passive. Ces deux constructions ont une fonction similaire et transmettent les mêmes informations de base, mais il y a une différence subtile de sens entre les deux. Dans ce chapitre, vous apprendrez d'autres paires ou ensembles de constructions qui ont une fonction similaire. Vous allez explorer comment leur sens peut différer subtilement et quelles conditions s'appliquent au choix de la construction à employer.
Chaque phrase a un but : informer, interroger, réagir, demander, etc. (Pour plus de discussion, voir le chapitre sur les actes de parole). Très souvent, on peut accomplir le même but en employant une variété de constructions différentes. Par exemple, on peut poser une question oui-non en utilisant l'inversion du sujet et du verbe, les expressions est-ce que ou n'est-ce pas, ou seulement une intonation interrogative :
Pourquoi avoir tant de constructions pour dire la même chose ? Alors que toutes ces constructions forment une question, chacune a une nuance qui la rend plus appropriée dans certains contextes que d'autres. Mosegaard Hansen (2001) trouve que la construction d'inversion (est-elle) est employé principalement pour des questions rhétoriques (qui sont plus fréquentes à l'écrit et dans des situations formelles), alors que la construction d'intonation interrogative (La syntaxe est difficile ?) est la plus fréquente quand on cherche une simple réponse. Est-ce que s'emploie fréquemment pour introduire un nouveau sujet, commencer une conversation, ou souligner que l'on veut une réponse. Bien sûr, n'est-ce pas indique que le locuteur suppose déjà une réponse en particulier et veut la confirmer.
Un groupe de constructions qui ont une fonction similaire s'appelle une alternance. Le choix d'une construction peut alterner selon le contexte ou d'autres considérations. Un autre exemple de ce type d'alternance est celle entre la construction complétive et la construction infinitive :
Selon Gadet et al. (1984), la construction complétive exprime plus d'incertitude :
Souvent, la différence de sens entre deux constructions similaires n'est pas évidente. C'est pourquoi les linguistes qui étudient ces alternances se servent de grands corpus pour éxaminer beaucoup d'exemples de l'emploi de chaque construction. C'est alors possible de reconnaitre des tendances spécifiques à chacune.
Selon les tendances observées par Mosegaard Hansen (2001), quelle construction interrogative serait la plus naturelle dans chaque contexte ?
Pour certaines alternances, le choix de construction peut dépendre du mot. Parfois, il faut choisir une construction avec certains mots et une autre construction avec d'autres mots. Par exemple, il y a deux constructions possibles pour un adjectif épithète : [Adj N] et [N Adj]. Un adjectif comme autre ne s'emploie que dans la construction [Adj N] (une autre maison) alors qu'un adjectif comme abandonné s'emploie toujours dans la construction [N Adj] (une maison abandonnée). Si on essaie d'utiliser un mot dans une construction où il n'est pas permis, le résultat est agrammatical (*une abandonnée maison).
Cependant, il y a des adjectifs qui sont plus ou moins acceptables dans les deux constructions. Certains de ces adjectifs sont bien connus, avec une différence sémantique claire entre les deux constructions : un cher ami ('dear'), un restaurant cher ('expensive'). Parfois la différence sémantique est beaucoup plus subtile : une merveilleuse journée, une journée merveilleuse. Et parfois même, un adjectif qui est fortement associé à une des constructions peut être incorporé de manière acceptable dans l'autre. Par exemple, chaud et froid sont censés se limiter à la construction [N Adj], mais on les rencontre de temps en temps préposés au nom : une chaude journée, une froide logique.
L'emploi d'un mot dans une construction où il est rare s'appelle le forçage. En « forçant » un mot dans une construction, on modifie légèrement le sens du mot. Waugh (1977) perçoit que l'adjectif préposé a un sens plus lié à celui du nom, alors que le sens d'un adjectif postposé est plus indépendant. Un heureux poète est heureux d'une manière spécifique aux poètes (réussi dans sa carrière, comblé par son art...) alors qu'un poète heureux est heureux de la même manière que n'importe qui. Un adjectif typiquement postposé qui est forcé dans la construction préposée adoptera donc un peu de cette qualité.
Un autre exemple de forçage concerne les articles indéfinis. Le français a deux articles indéfinis singuliers : un (une) pour des noms comptables (un serpent, deux serpents, trois serpents...) et du (de la, de l') pour des noms massifs (du sel). Par forçage, on peut faire adopter un sens massif à un nom comptable, ou vice versa. Un restaurant exotique pourrait offrir un plat avec du serpent pour les aventureux, et un chimiste pourrait expliquer les différences entre deux sels, le chromate de sodium et le sulfate de magnésium.
Un dernier exemple de forçage concerne le choix d'auxiliaire aux temps composés. Être s'emploie avec des verbes inaccusatifs - des verbes intransitifs dont le sujet est affecté par l'action (mourir, aller, venir...). Avoir est utilisé avec des verbes transitifs ainsi que des verbes inergatifs - des verbes intransitifs dont le sujet n'est pas affecté par l'action (travailler, réfléchir...). La ligne de sépération entre les verbes inaccusatifs et inergatifs est floue, et certains verbes (surtout des verbes moins fréquents) sont observés avec les deux auxiliaires. Certains locuteurs pourraient percevoir une différence sémantique subtile entre il a disparu et il est disparu, où ce dernier souligne l'état résultant.
Dans les paires d'exemples ci-dessous, comment est-ce que le sens du mot souligné est changé par la construction dans laquelle il apparait ?
Certaines alternances de construction fixent l'attention sur un constituent dans la phrase en particulier. L'alternance active-passive en est un exemple. Dans les deux phrases ci-dessous, on présente les mêmes informations mais on dirige l'attention différemment.
La deuxième phrase, qui emploie la construction passive, dirige plus d'attention sur la tarte. On peut imaginer cet énoncé lors d'une présentation d'une suite de tartes (Cette tarte a été faite par Marie, celle-là par Raoul, et celle-là par Dina).
La structure de l'information concerne comment les faits présentés dans une phrase sont organisés. Un facteur principal dans cette structure est la supposition de la part du locuteur de ce que sait le destinataire de l'énoncé. Typiquement, l'information que le destinataire sait déjà sera au début de l'énoncé, avec des informations nouvelles à la fin. Dans notre exemple avec la présentation d'une suite de tartes, le destinataire sait déjà qu'il y a une tarte, mais il ne sait pas qui l'a faite.
Une autre alternance qui affecte la structure de l'information concerne les phrases clivées :
Dans une phrase clivée, comme (2) ou (3) ci-dessus, un constituent est séparé du reste de la phrase et mis tout au début. C'est un moyen de marquer l'information qui est considérée comme nouvelle et digne d'intérêt.
Expliquez ce qui est différent dans le sens de chaque phrase ci-dessous. Imaginez un contexte où chacune serait appropriée.
Comparez les phrases dans le tableau ci-dessous :
Décrivez la forme et la fonction de ces deux constructions :
(Inspiré par : Lambrecht, Knud. 1995. Compositional vs. Constructional Meaning: The Case of French" comme-N". In Semantics and Linguistic Theory, vol. 5, 186–203.)