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La syllabe est une unité phonologique très importante, car sa structure et sa position dans un mot ou dans une phrase peuvent déclencher plusieurs changements au mot qui la contient et aux mots voisins. La langue française a même une préférence accordée a une structure syllabique particulière.
Une syllabe est un petit groupe de sons qui constitue une unité avec laquelle on peut créer des mots ; elle comprend obligatoirement une voyelle (qu'on va représenter par la lettre V) et facultativement une ou plusieurs consonnes—y compris les glides—(qu'on va représenter par la lettre C). On appelle cette voyelle qui est au centre de la syllabe le noyau, et elle peut être une voyelle simple ou complexe (par ex., une dipthgongue, une voyelle longue, etc.). Toujours dans la même syllabe, la consonne (ou les consonnes) facultative qui peut se trouver devant le noyau s'appelle l'attaque, et celle (ou celles) qui peut se trouver après le noyau s'appelle le coda. Donc, le mot monosyllabique sur /syʁ/ a la structure CVC : une attaque /s/, un noyau /y/ et un coda /ʁ/.
On vient de dire que le noyau peut comprendre une voyelle simple ou complexe, mais l'attaque et le coda ne sont pas non plus restraints à une forme simple. On peut avoir une attaque ramifiée ou un coda ramifié, qui veut dire qu'il s'agit d'une séquence de consonnes (par ex., CCV ou VCC). Grâce à cette variabilité dans la composition de l'attaque et du coda, il y a plusieurs structures syllabiques possibles en français. Par exemple, une syllabe peut se composer d'un simple noyau (V : aux /o/), d'une attaque et un noyau (CV : oui /wi/), d'une attaque ramifiée et un noyau (CCV : très /tʀɛ/), etc.
Pour étudier les structures syllabiques du français, Wioland (1985) a fait analyse de ~87 000 syllabes tirées des diffusions télévisées en 1973. Selon ses analyses, les quatre structures syllabiques les plus communes en français étaient CV (55,61%), CCV (13,9%), CVC (13,55%) et V (9,8%). Donc la structure syllabique la plus commune en français est CV.
Vérifier votre compréhension
La structure d'une syllabe peut varier selon la présence/absence d'une attaque ou d'un coda, selon le nombre de consonnes qui s'y trouvent, etc., mais c'est peut-être la présence/absence du coda qui a le plus grand effet sur les mots et les segments voisins. En fait, on classe souvent les syllabes par l'absence ou la présence d'un coda : une syllabe ouverte est une syllabe qui n'a pas de coda (c.-à-d., une syllabe qui se termine par un son vocalique), et une syllabe fermée est une syllabe qui a un coda (c.-à-d., une syllabe qui se termine par un son consonantique).
On ne peut pas sous-estimer l'importance de ce principe : la qualité ouverte ou fermée d'une syllabe peut avoir un grand impact sur plusieurs éléments de la langue parlée. Par exemple, la présence/absence du coda peut déterminer si certains changements ou processus phonologiques peuvent avoir lieu dans un mot, si une voyelle ou une autre est prononcée, etc.
Le mot sanskrit sandhi fait référence aux phénomènes phonologiques aux frontières des morphèmes. Ce sont alors des phénomènes au carrefour de la phonologie, la morphologie et la syntaxe. Quand on parle des phénomènes de sandhi en français, on parle principalement de l’enchaînement et de la liaison. Ces phénomènes affectent la structure des syllabes au début et à la fin des mots.
L’enchaînement est le phénomène de sandhi qui réassigne la consonne ultime (ultime = finale) prononcée d’un premier mot (désormais Mot1 ou M1) au début d'un deuxième mot (désormais Mot2 ou M2) qui commence par un son vocalique (excepté le h aspiré). Par exemple, le /t/ ultime du mot cette se prononce toujours—que ce soit devant une voyelle ou devant une consonne—mais quand le mot école le suit, on réassigne le /t/ du coda de M1 à l’attaque de la première syllabe de M2, comme on voit dans (1), ci-dessous :
1) a. cette
/sɛt/
b. école
/e.kɔl/
c. cette école
/sɛ.te.kɔl/
La liaison est le phénomène de sandhi qui fait entendre une consonne qui ne se prononce qu’entre deux mots quand M2 commence par un son vocalique dans d'autres contextes. Dans les descriptions traditionnelles, la dernière consonne écrite de M1 (par ex., ses amis /se.za.mi/) est considérée comme la consonne de liaison (désormais CL), mais cela n’est pas forcément toujours le cas (cf. Côté 2005) ; car, on peut entendre parfois—souvent par hypercorrection—une CL se réaliser qui ne fait partie orthographique ni de M1 ni de M2 (par ex., un grand ours [ɛ̃.gʀɑ̃.zuʁs]).
En général l’enchaînement accompagne la liaison et on réassigne la CL à l'attaque de la première syllabe de M2 (par ex., mon ex [mɔ̃.neks]). Cependant, dans certaines conditions on peut faire une liaison sans enchaînement. Par exemple, dans l’hésitation (par ex., mes…amis [mez | ami]) ou pour rendre l'énoncé plus clair. Par exemple, Encrevé (1983: 64) rapporte que « Dans la campagne des législatives de 1978, un dirigeant de parti dit : « Quand Monsieur Mitterrand était ministre, et Dieu sait qu’il l’a beaucoup‿été, euh beaucoup | été… » Dans cet exemple, l'enchaînement de la CL entre beaucoup et été n'était pas désirable (représenté en (2a), ci-dessous), donc on a refait l'énoncé avec liaison mais sans enchaînement (représenté en (2b), ci-dessous), car la prononciation de la CL avec enchaînement (2a) serait homophone de la séquence beaucoup pété (représenté en (2c), ci-dessous), ce qui ne serait pas approprié pour une émission télévisée sur la compagne des législatives.
2) a. et Dieu sait qu’il l’a beaucoup‿été
/et.djø.sɛ.ki.la.bo.ku.pe.te/
b. et Dieu sait qu’il l’a beaucoup | été
/et.djø.sɛ.ki.la.bo.kup.e.te/
c. et Dieu sait qu’il l’a beaucoup pété
Selon les prescriptions, il y a trois classifications de liaison : la liaison obligatoire, la liaison facultative et la liaison défendue. Traditionnellement la liaison se fait ou non selon la relation morphosyntaxique entre M1 et M2 où une relation plus forte indique une probabilité plus forte de liaison. Par exemple, la relation morphosyntaxique entre un déterminant et un nom est très forte, donc on dirait qu'il s'agit d'une liaison obligatoire (par ex., les amis [le.za.mi]) ; mais la relation entre un verbe et un déterminant qui le suit est moins forte, donc on dirait qu'il s'agit d'une liaison facultative (par ex., c'est une [sɛ(t)yn]). Mais il y a souvent des problèmes avec ces descriptions traditionnelles. Par exemple, on peut entendre des taux de liaison différents en observant une seule séquence de mot.
Ågren (1973: 2) a étudié les liaisons dites facultatives dans « la langue de la conversation » en faisant analyse de « 134 émissions radiophoniques datant des années 1960 et 1961. » Parmi d'autres conclusions, Ågren a démontré que la CL s'est prononcée en liaison facultative entre le verbe auxiliaire être (M1) et un participe passé commençant par une voyelle (M2) presque sans exception (c.-à-d., dans 98,7% des cas) quand la forme de l'auxiliaire était est, mais un taux de 57,4% était observé quand la forme était suis. Ce sont deux allomorphes du même verbe dans le même contexte syntaxique (c.-à-d., verbe auxiliaire), mais les deux taux étaient bien différents. Donc, il y a évidemment d'autres paramètres à prendre en compte quand on pose la question « Quand fait-on une liaison ? »
Il y a plusieurs autres facteurs qui influencent l'apparition de la CL, mais nous ne vous en présentons que deux ici. D'abord, la situation dans laquelle un locuteur parle peut changer comment il parle. Selon Sampson (2001: 245–6, notre traduction) « Plus le locuteur se sent mal à l'aise sur le plan linguistique et plus les circonstances du discours sont soutenues, plus il est probable que la liaison se produise. » Ensuite, en s'addressant à la notion qu'une relation syntaxique qui est forte mène à la liaison, Bybee (2001: 338, notre traduction) démontre que « cette cohésion syntaxique est un résultat direct de la fréquence de cooccurrence : les mots qui sont utilisés souvent ensemble ont souvent tendance à sembler plus fusionnés et ont également tendance à produire plus de liaison. » Donc, si un locuteur pense qu'une situation mérite un discours plus soutenu et/ou une démonstration de connaissances prescriptives, il est probable qu'il produira plus de liaison ; et si deux mots apparaissent souvent ensemble, il est plus probable qu'une CL s'y produise.
La liste suivante comprend plusieurs séquences de mots. En vous servant d'une échelle allant de 1 à 9, indiquez si une liaison entre les mots indiqués dans une conversation avec des amis vous semble impossible (un 1 sur l'échelle), quasiment obligatoire (un 9 sur l'échelle) ou quelque part entre les deux. Notez bien : on ne cherche pas votre connaissance des prescriptions (c.-à-d., ce qui est « correct »), mais on cherche vos intuitions de ce qui semble naturel.