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Dans le chapitré précédent, on a parlé des constituants syntaxiques. Lorsqu'un constituant est défini par un mot d'une catégorie grammaticale particulière qu'il contient, on appelle ce constituant un syntagme. Par exemple, on peut avoir un syntagme nominal ou un syntagme verbal. Ces syntagmes nous permettent de décrire et de comparer avec plus de précision la structure d'une d'une phrase.
Considérons la phrase (1) :
1) J'offre ce chat à ma voisine.
Il y a deux constituants soulignés dans la phrase (1) : ce chat et à ma voisine. Le premier se compose d'un déterminant (ce) et d'un nom (chat). C'est donc quel type de syntagme ? Si on fait un test de substitution de catégorie, on pourrait remplacer ce constituant par un nom (J’offre Simba à ma voisine), mais pas par un déterminant (*J’offre un à ma voisine). Ce chat est donc un syntagme nominal, parce qu'il contient un nom et tout le syntagme a la fonction d'un nom. Le deuxième constituant (c.-à-d., à ma voisine) s'introduit par une préposition (à) ; on l’appellerait donc un syntagme prépositionnel, car la préposition détermine comment le syntagme interagit avec les autres éléments de la phrase. Si on changeait la préposition de à à de (holà !), on aurait une phrase grammaticale, mais la relation qu'exprime la préposition aurait changé : « J'offre ce chat de ma voisine. » (il faut comprendre ici que l’on offre le chat à la personne à qui on parle : « Je (vous) offre ce chat de ma voisine. »).
Un syntagme peut comprendre un autre syntagme. Par exemple, dans le syntagme prépositionnel à ma voisine, il y a un syntagme nominal (c.-à-d., ma voisine), et dans le syntagme nominal ma voisine, il y a un nom et un déterminant. Vu qu'un syntagme peut se composer de plusieurs éléments, parlons un peu de la structure générale des syntagmes.
Un syntagme a nécessairement une tête, qui est l'élément obligatoire dont on tire le nom du syntagme (par ex., la tête d'un syntagme verbal est un verbe). Pour déterminer la catégorie d’un syntagme, on peut employer certains tests présentés dans le chapitre précédent, comme la substitution. Un syntagme consiste parfois en une tête seulement (par exemple, le nom Paul est un syntagme nominal). Mais on peut avoir deux autres éléments dans un syntagme : un spécifieur (parfois abrégé comme spéc.) qui spécifie ou précise l’identité de la tête, et un complément (parfois abrégé comme comp.) qui complète le sens de la tête et satisfait à ses besoins.
D'habitude, un syntagme en français a la structure suivante : SPÉCIFIEUR + TÊTE + COMPLÉMENT. Par exemple, dans le syntagme de (2a), la tête est le nom chat, le déterminant un sert de spécifieur et l'adjectif méchant sert de complément. Mais, (ATTENTION !) parfois un complément peut précéder la tête, comme on peut voir dans le syntagme de (2b) :
2) a. un chat méchant
spéc. + tête + comp.
b. un beau chat
spéc. + comp. + tête
En général on dit que le français est une langue « à têtes initiales » (Zufferey & Moeschler 2021: 145), ce qui veut dire que le complément est mis après la tête. Si le complément est après la tête, on dit que le syntagme branche à droite ; quand le complément précède la tête, on dit que le syntagme branche à gauche. La plupart des syntagmes en français branchent à droite, mais il y a des exceptions, comme les adjectifs qui précèdent le verbe (beau, grand, etc.) On en parlera plus tard dans ce manuel quand vous verrez des représentations hiérarchiques à deux dimensions avec des branches (comme celle que vous voyez dans la Figure 1, ci-dessous).
Figure 1 : La structure d'un syntagme qui branche à droite.
On a vu la structure générale d'un syntagme, mais on va parler maintenant de quelques structures possibles pour chaque type de syntagme : le syntagme verbal (SV, dont la tête est un verbe), le syntagme nominal (SN, dont la tête est un nom ou un pronom), le syntagme adjectival (SAdj, dont la tête est un adjectif), le syntagme adverbial (SAdv, dont la tête est un adverbe), et le syntagme prépositionnel (SP, dont la tête est une préposition). La phrase est elle aussi un constituent, que nous représenterons par Ph.
Au lieu de faire des représentations avec des branches, on se contente pour l'instant de faire des représentations entre crochets : syntagme[spéc. + tête + comp.].
Un syntagme nominal (SN) peut comprendre plusieurs structures, dont quelques exemples communs :
Nous venons de voir qu'un adjectif peut très bien faire partie d'un SN, mais pourquoi devons-nous postuler un syntagme distinct pour l'adjectif ? Regardez les structures communes suivantes pour trouver une réponse :
Pourquoi donc postuler un syntagme distinct pour l'adjectif ? Allez-y. Prenez quelques secondes pour y réfléchir... Ça y est ? C'est parce qu'un adverbe peut qualifier un adjectif et non les autres composants du syntagme dont le SAdj fait partie (par ex., très modifie engageante, non pas prof) ; donc il faut que l'adjectif ait son propre syntagme.
Comme un adverbe peut qualifier un verbe, un adjectif, un autre adverbe, etc., quelques structures sont possibles pour un syntagme adverbial (SAdv), dont deux exemples les plus communs :
Un syntagme prépositionnel (SP) peut comprendre plusieurs structures, dont trois exemples les plus communs :
Un syntagme verbal (SV) peut comprendre plusieurs structures, dont quelques exemples communs :
Les conjonctions (Conj) n'ont pas de syntagme distinct, mais elles s'inserrent ici et là pour établir et définir des liens entre les composants des syntagmes. Par exemple, on peut inserrer la conjonction et dans un SN pour coordonner deux SAdj : un film long et ennuyeux (SN[D+N+SAdj+Conj+SAdj]).
Les conjonctions facilitent un principe linguistique qui s'appelle la récursivité, qui comprend la qualité des langues humaines de toujours pouvoir ajouter encore un élément de plus. Par exemple, on pourrait commencer une phrase en disant « Après ce cours, je vais rentrer, mettre mon sac sur la table et me reposer un peu sur le canapé que le grand-père de mon camarade de chambre a acheté pour nous ce semestre-là quand on avait subi... », puis continuer—en principe—à l'infini. Les conjonctions ne sont pas toujours nécessaires, mais elles jouent un rôle important dans la recursivité.
Vérifier votre compréhension
La tête d’un syntagme est un peu comme le noyau d’un atome. En chimie, un atome est composé d’un noyau (des protons et des neutrons) avec des électrons autour. La valence est une propriété qui décrit combien d’électrons doivent entourer le noyau et dans quelle configuration. Les linguistes ont emprunté ce terme pour décrire la structure des syntagmes et des phrases. La valence est donc la propriété d’une tête syntaxique qui détermine la présence des spécifieurs et des compléments autour.
Parfois, un spécifieur ou un complément est obligatoire. Par exemple, un nom commun (comme lion) nécessite généralement un déterminant comme spécifieur (un lion, des lions, etc.). Par contre, un nom propre (comme Élisabeth) n’a généralement pas de spécifieur. De la même manière, les verbes transitifs nécessitent un complément (e.g., faire, voir) alors que les verbes intransitifs n’en nécessitent pas (e.g., dormir, arriver).
La valence détermine ce qui peut se mettre dans chaque place. Si un verbe prend un syntagme nominal comme complément, on dit que c’est un complément d’objet direct (COD). Si un verbe prend un syntagme prépositionnel comme complément, on dit que c’est un complément d’objet indirect (COI). Il y a d’autres compléments possibles, comme on voit en (3).
3) a. Je veux une salade. (COD)
b. Il ressemble à mon ami. (COI)
c. Je veux que tu nous prépares une salade. (complément = Ph)
d. Je veux manger. (complément = V à l’infinitif)
Il y a aussi des compléments qui ne sont pas obligatoires. Ils s’appellent des compléments circonstanciels (parfois appelés des modificateurs ou des adjoints). Les compléments circonstanciels expriment de l’information facultative comme le lieu, le moment, ou la manière de l’action.
Comparez les phrases en (4).
4) a. Il ressemble à mon ami. (COI)
b. Je voyage à Tahiti. (complément circonstanciel)
Les parties soulignées sont des syntagmes prépositionnels. Pourquoi est-ce que le syntagme à Tahiti est un complément circonstanciel si le syntagme à mon ami est un COI ? Prenez un moment pour y réfléchir.... C'est parce que le syntagme à Tahiti n’est pas un complément obligatoire. On peut très bien dire Je voyage sans complément, mais on ne peut pas dire *Il ressemble sans complément.
Si la différence entre un COD et un complément circonstanciel est qu’un COD est obligatoire, pourquoi est-ce qu’on peut dire Je mange (sans COD) alors que typiquement manger prend un COD (Je mange un sandwich, par exemple) ? Pour expliquer ce phénomène, il faut distinguer la valence syntaxique et la valence sémantique. La valence syntaxique satisfait aux conditions grammaticales du verbe alors que la valence sémantique complète le sens du verbe. Parfois, ces deux valences sont différentes.
Par exemple, syntaxiquement, le verbe pleuvoir a besoin d’un sujet (un spécifieur): Il pleut. Mais sémantiquement, ce verbe n’a pas de sujet, parce que le mot il ici n’a pas de valeur - c’est un sujet impersonnel. Dans le cas du verbe manger (et beaucoup d’autres verbes transitifs), la valence sémantique requiert un complément (si on a mangé, on a nécessairement mangé quelque chose), mais la valence syntaxique permet de l’omettre. La liberté d’omettre le complément dépend du verbe.
Dans la description du syntagme adverbial, on vous a présenté la structure possible SAdv[SAdv+Adv] avec l'exemple « Vous peignez très bien. ». Pourquoi, à votre avis, avons-nous représenté la structure du SAdv comme [SAdv+Adv] et non comme [Adv+Adv] ?