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Dans le chapitre précédent vous avez appris que la structure d'une phrase est plus complexe que l'ordre de surface de ses mots ou ses constituents. Ces constituents ont des relations hiérarchiques qui affectent l'interprétation de la phrase et que l'on peut représenter par des arbres syntaxiques. Dans ce chapitre, vous apprendrez les types de relations qu'un constituent peut avoir avec certains mots importants, surtout les verbes.
Une manière de voir la syntaxe d'une phrase est de regarder le verbe comme son noyau structural. Le verbe exprime l'action proposée par la phrase, et tous les autres éléments élaborent cette action. C'est le verbe qui détermine quels et combien d'éléments doivent et peuvent apparaître dans la phrase.
Le rôle d'un verbe dans une phrase est un peu comme celui d'un noyau dans un atome. Le type de noyau détermine combien d'électrons doivent l'entourer, et en quelle configuration. Les chimistes appelle cette propriété des atomes la valence. Par exemple, le noyau d'un atome d'oxygène accepte 8 électrons dans sa valence, alors que celui d'un atome de carbone n'en accepte que 6. De manière similaire, un verbe ditransitif comme donner requiert 3 éléments (A donne B à C) alors que le verbe pleuvoir n'accepte généralement qu'un sujet impersonnel (Il pleut). Les linguistes ont donc emprunté ce terme de la chimie : la valence d'un verbe décrit le nombre et la configuration des éléments qu'il reçoit (Tesnière 1965).
Un argument (appelé aussi un actant) est un élément obligatoire dans la valence d'un verbe. Typiquement, le sujet, l'objet direct, et l'objet indirect sont considérés des arguments :
Parce qu'ils font généralement partie du syntagme verbal, les objets direct et indirect sont considérés des arguments internes (on voit souvent le terme complément avec le même sens qu'un argument interne). Le sujet est hors du syntagme verbal, alors c'est considéré un argument externe. Dans l'arbre ci-dessous, Je est un argument externe au syntagme verbal, alors que l'objet direct un stylo et l'objet indirect à mon ami sont des arguments internes.
La valence détermine où et comment les arguments apparaissent dans la phrase. Une chose que la valence affecte et si un des arguments doit être marqué par une préposition. Par exemple, le verbe ressembler requiert un objet indirect marqué par à (Il ressemble à son père) alors que le verbe se marier requiert un objet indirect marqué par avec (Il s'est marié avec sa copine).
On peut distinguer la valence syntaxique de la valence sémantique. La valence syntaxique satisfait aux conditions grammaticales du verbe alors que la valence sémantique complète le sens du verbe. Parfois, ces deux valences sont différentes. Par exemple, le verbe falloir a une valence syntaxique de 2 et une valence sémantique de 1 :
Dans cette phrase, falloir a deux arguments syntaxiques : le sujet il et le complément infinitif faire les devoirs. Cependant, le sujet est impersonnel et n'a pas de valeur sémantique.
Dans l'autre sens, parfois un verbe a une valence sémantique qui est plus grande que sa valence syntaxique. Le verbe manger a une valence sémantique de 2 : un argument qui représente la personne qui mange et un autre qui représente la nourriture mangée. Cependant, manger peut s'employer sans objet :
Dans cette phrase, le deuxième argument existe toujours sémantiquement (vous comprenez par cette phrase que je mange quelque chose), mais cet argument n'est pas réalisé syntaxiquement.
Notez que le verbe être (et d'autres copules avec un sens similaire, comme sembler ou paraitre) prend une expression prédicative, typiquement un nom ou un adjectif. Ces expressions sont similaires aux arguments que prennent d'autres verbes, mais elles sont classifiées séparément.
Si un argument est un élément obligatoire dans la valence d'un verbe, un adjoint (appelé aussi un circonstant) est un élément facultatif. Les arguments fournissent les informations essentielles sur l'action du verbe (Qui ? Quoi ? À qui ? etc.). Les adjoints fournissent des informations supplémentaires (Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? etc.) :
Les arguments sont spécifiques au sens évoqué par le verbe (Fillmore 1982). Par exemple, l'objet direct de manger est un aliment qui est consommé, alors que l'objet direct de peindre est une surface sur laquelle de la peinture est appliquée. Par contre, les adjoints apportent le même sens à tous les verbes. Dans la première phrase ci-dessus, film est un argument acceptable du verbe voir, mais n'aurait pas de sens si le verbe était laver ou conduire. Par contre, vendredi peut être un adjoint à tous ces verbes, parce que n'importe quelle action pourrait se dérouler un vendredi. Les adjoints sont donc plus libres vis-à-vis les verbes qu'ils modifient.
Un moyen de décider si un constituent est un argument ou un adjoint est de le séparer du verbe par une phrase relative. Si le constituent peut être séparé du verbe de cette manière, c'est probablement un adjoint :
Dans les phrases suivantes, décidez si chaque constituent souligné est un argument ou un adjoint du verbe.
La valence s'applique à beaucoup de noms et d'adjectifs en plus des verbes. Considérez les arguments soulignés dans les phrases suivantes :
Ces arguments complètent le sens du nom ou de l'adjectif. Le sens est incomplet si on les retire (fier de qui ? plein de quoi ?).
Comme avec les verbes, les noms et les adjectifs peuvent être modifiés par des adjoints qu'il faut distinguer des arguments. Considérez le nom directeur:
Ce nom prend un complément qui indique ce que la personne dirige (de banque). Cette information est centrale au sens du nom. Il est donc étrange de séparer l'argument du nom par un adjoint qui donne des informations moins centrales sur la personne, comme avec 10 ans d'expérience (ou bien avec les cheveux gris, avec une belle voiture, etc.). Un argument sera généralement plus près du mot qu'un adjoint. On sait donc que dans cette phrase, de banque est un argument du nom directeur alors que avec 10 ans d'expérience en est un adjoint.
Comparez les verbes casser et écrire dans les phrases suivantes.
1. cassera. Marie a cassé la branche.b. *Marie a cassé.c. La branche a cassé.d. La branche s'est cassée.
2. écrirea. Jean a écrit la lettre.b. Jean a écrit.c. *La lettre a écrit.d. La lettre s'est écrite.
Considérez l'interprétation et la grammaticalité de chaque phrase, puis répondez à ces questions :
(Inspiré par : Labelle, Marie & Edit Doron. 2010. Anticausative derivations (and other valency alternations) in French. Probus 22. 303–316. https://doi.org/10.1515/prbs.2010.011.)